Le sociologue et chargé de recherche au CNRS, Kamel Chachoua, revient dans un entretien accordé au quotidien El Watan et publié hier jeudi 5 mai, sur l’affaire de l’imam d’Imechdalen (M’chedallah en arabe). Il évoque, notamment les appels de plusieurs partis islamistes, parmi lesquels le MSP, à sanctionner les habitants de la ville…
El Watan : Plusieurs partis islamistes, comme le MSP, ont appelé les autorités à sanctionner ce qu’ils considèrent comme une «atteinte à la mosquée». Pour eux, l’organisation d’un gala est un «mal». Comment qualifiez-vous ce discours à la limite de la «fitna» ?
Pr Kamel Chachoua : Ces chefs politiques de l’opposition suivent l’opinion au lieu de la produire, de la devancer et de l’orienter. Ils ne font aucun effort pour comprendre et plus grave encore, ils ne comprennent pas qu’ils ne comprennent pas ; voilà ce qui me paraît inquiétant, car ils encouragent les extrêmes au lieu de les modérer. On croit souvent que l’obscurantisme et l’ignorance sont propres aux milieux subalternes et populaires ; or, non, même les sommets de la société sont aussi et peut-être encore plus dangereusement infestés que la base. Il faut aussi instruire nos instruits ; c’est encore plus difficile, plus délicat.
Évoquant le comportement et les propos orduriers de l’homme de religion, ce même chercheur indique :
Il s’agit bien d’une faute professionnelle comme on dit dans le droit du travail, puisque l’imam lui-même s’est excusé et, surtout, il a fait l’objet d’une nouvelle affectation de la part de sa hiérarchie. L’imam en question avait été nommé à Imechdalen depuis moins d’un an ; il vit seul comme un immigré de l’intérieur. Il ne connaît pas par cœur et par corps l’univers social où il exerce, du coup, il se fie au texte et à la norme morale et religieuse sans prendre en compte le contexte social. Il réagit un peu plus solitairement et reste ainsi la proie de ses émotions et de ses idées reçues. Tout cela contraste avec nos attentes, nos dispositions et notre champ mental en général qui place la religion au sommet de la pyramide de la légitimité. La mission d’imam est pour nous, dans notre inconscient éthique et moral, une vocation et non pas une fonction ou un métier où on entre par concours, affectation, CV et diplômes.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut prendre en compte une transformation récente et ancienne en même temps qui a affecté la fonction et la figure de l’imam depuis le milieu des années 1970 et qui a vu s’appliquer aux imams le statut de fonctionnaire et de salarié. Depuis les années 1980, beaucoup de villes, de bourgs et de villages reçoivent leurs imams de l’État qui les nomme et les affecte comme il le fait pour les magistrats, les walis, les chefs de daïra ou de gendarmerie par exemple.
Comme eux, l’imam est extérieur mais n’a pas la même légitimité qu’un wali ou un autre haut fonctionnaire. Cette forme d’autonomie qu’entraîne la fonctionnarisation implique des avantages et des inconvénients. Et c’est vrai que l’imam devient moins dépendant économiquement de la communauté où il exerce mais en même temps il est moins intégré au groupe et cela pose parfois quelques difficultés.
Interview intégrale : (El Watan)
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