MORT D’UN BRAVE / Par Yasmina Khadra
Le général Hocine Benhadid n’est plus. Il a rejoint ses frères d’armes quelque part où les légendes demeurent intactes.
Ce grand officier algérien, major de promotion à l’Ecole de guerre des Etats-Unis, nous faisait rêver, nous autres élèves de l’Académie, lorsque la droiture et la compétence étaient des critères impératifs. On regardait cet homme élégant, courtois et charismatique comme le modèle qu’un commandeur se doit d’incarner. Il était très proche de ses subordonnés et très apprécié par les autres.
Je l’avais rencontré, la première fois, au nord de Tindouf. Il était à la tête de la mythique 8eme BB. J’étais allé le voir dans un cadre opérationnel.
À l’époque, j’étais chef du Bureau Reconnaissance de la 38eme BIM. Quelle fut ma surprise lorsque le commandant Benhadid m’avait invité dans son bureau, offert du thé et, après avoir étudié attentivement l’objet de ma mission, il s’était mis à me parler de MES modestes romans et recueils de nouvelles.
Je n’en revenais pas. C’était la première fois qu’un supérieur me parlait de littérature et me faisait comprendre qu’il s’intéressait à mes textes malgré leur incomplétude et leurs maladresses, que je publiais sous mon vrai nom(Mohammed Moulessehoul) entre 1984 et 1988.
Je l’avais quitté avec le sentiment que dans mon pays, l’armée n’était pas forcément « le refuge des esprits de troisième ordre » comme le clamait haut et fort Virgil Gheorghiu, l’auteur de « la Vingt-cinquième heure ».
Et ma surprise fut encore plus grande lorsque, deux décennies plus tard, j’ai vu cet officier de haut rang et de grande culture traîné dans la boue, jeté à deux reprises en prison comme un vulgaire délinquant, lui, le moudjahid, le fringant général, le plus brillant officier de sa génération, qui fut sur tous les fronts et l’un des artisans de la victoire sur le terrorisme qui a failli dépeupler notre pays.
Je me souviens, lorsque j’avais appris son arrestation arbitraire, je m’étais dit « dans quel foutu bled sommes-nous en train de pourrir sur pied ?!»
L’Algérie m’a paru comme la terre de l’ingratitude. J’étais outré, écœuré, à deux doigts d’abjurer. Drôle de pays où l’on s’évertue à défigurer les plus belles images de la nation, où l’on célèbre les moins-que-rien , où l’on encamisole les vertus et muselle les vocations, où l’on jette en prison jusqu’aux figures emblématiques de la Guerre de Liberation, comme le regretté Lakhdar Bouregâa .
Mais, bon. Il n’est pas donné à tous les peuples d’être dignes de leurs héros.
Le général Hocine Benhadid n’est plus. C’était un bel homme et une belle âme. Qu’il repose en paix. Il nous lègue de quoi surmonter la galère d’ici-bas en espérant des jours meilleurs pour les générations de demain puisque celles d’aujourd’hui sont plus à plaindre qu’à damner.
Yasmina Khadra, 2er Octobre 2023
1er octobre 2023 : « Le Général est mort »
Le général à la retraite Hocine Benhadid s’est éteint dimanche 1er octobre à Alger, dans son modeste appartement acquis auprès ce l’Office de la promotion et de la gestion immobilière (OPGI). Jusqu’à son dernier souffle, cet officier, qui n’avait pas sa langue dans la poche, aura été fidèle à sa réputation de personnage modeste. À rebours de cette image qui voudrait que tout haut gradé algérien soit forcément richissime, possède des biens immobiliers dans le pays et à l’étranger, et soit corrompu.
Ce général à la retraite connu pour son franc-parler aura été la bête noire d’Ahmed Gaïd Salah et de l’ancien clan présidentiel.
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