Sur les colonnes du site Le Matin d’Algérie, le journaliste et auteur Larbi Graïne est revenu, cette semaine, sur le pamphlet anti-Amazigh signé par l’auteur arabe d’Algérie, vivant en France, Hafsa Kara-Mustapha.
« 𝐁𝐞𝐫𝐛è𝐫𝐞 𝐝𝐞 𝐒𝐢𝐨𝐧 » 𝐝𝐞 𝐇𝐚𝐟𝐬𝐚 𝐊𝐚𝐫𝐚-𝐌𝐮𝐬𝐭𝐚𝐩𝐡𝐚 : 𝐮𝐧 𝐩𝐚𝐦𝐩𝐡𝐥𝐞𝐭 𝐚𝐧𝐭𝐢-𝐚𝐦𝐚𝐳𝐢𝐠𝐡
Le titre est certes provocateur mais exprime l’idée principale de l’auteure qui veut montrer que les Berbères tiennent des Juifs, le terme « Sion » servant, à peine à masquer ce rapprochement.
Madame Hafsa Kara-Mustapha se propose de nous faire comprendre ce qu’est le berbérisme et ses origines. Sa thèse recycle les vieux clichés d’une paternité de la France coloniale sur la naissance de la revendication culturelle berbère. Il n’est pas besoin de revenir sur cet épisode très documenté du nationalisme algérien qui a vu les militants nationalistes berbéristes, originaires de Kabylie, vilipendés et accusés de trahison pour ne s’être pas pliés à la ligne officielle du MTLD de Messali Hadj. Ligne qui prônait une identité algérienne reposant exclusivement sur la doctrine arabo-islamiste.
Mme Kara-Mustapha sans paraître avoir compris ce qu’avait été le mythe kabyle (ou arabe) le présente comme une pièce à conviction pour appuyer ses dires. Elle fait preuve d’originalité si on peut qualifier d’originale l’affabulation qui consiste à considérer le mythe du kabyle « blond aux yeux bleus » comme la résonance d’un métissage entre les Kabyles et les Pères blancs. Autrement dit, l’auteure explique ces caractéristiques physiques comme la résultante d’un lien biologique unissant les premiers aux seconds par la suite d’abus sexuels dont se seraient rendus coupables ces religieux. Mais à la vérité, ce mythe a préexisté à ces missionnaires chrétiens.
Le mythe en question fait dériver les Berbères directement des populations européennes ayant migré en Afrique du Nord dans les temps les plus reculés. Il s’ensuit donc que l’auteure se trompe en considérant comme réel ce qui relève du mythe.
L’auteure doute du fait même que le 𝘵𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘵 soit la langue des autochtones. Outre l’exigence d’une explication, l’auteur nourrit des soupçons quant à l’historicité du nom 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩, d’où vient-il, s’interroge-t-elle.
Je pourrais lui répondre en disant qu’il vient des populations berbères. Le mot 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨h est attesté traditionnellement dans l’ensemble des communautés berbérophones du Maroc (Chleuhs, Rifains et Berabers) ainsi que dans les oasis du sud oranais, en Algérie. L’usage ne date pas d’aujourd’hui. Les mots 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨h pl. 𝘐𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘦𝘯 sont des endonymes, c’est-à-dire des noms qu’utilise la population concernée pour se désigner elle-même. Les populations non berbérophones utilisent d’autres noms (exonymes) pour désigner les groupes n’usant pas de la même langue . Cet aspect des choses existe dans toutes les cultures du monde.
Ainsi, les Français appellent « Allemands » les habitants de l’Allemagne alors que ces derniers se désignent eux-mêmes par le terme de 𝘥𝘦𝘶𝘴𝘤𝘩𝘦 . Les Arabes appellent les Autrichiens 𝘢𝘭-𝘕𝘢𝘮𝘴𝘢𝘸𝘪𝘺𝘶𝘯 alors que ces derniers se dénomment eux-mêmes ö𝘴𝘵𝘦𝘳𝘳𝘦𝘪𝘤𝘩𝘪𝘴𝘤𝘩, etc.
Les différents groupes berbères utilisaient et continuent d’utiliser concurremment à leur nom local, celui qui leur est appliqué par les Arabophones. Le Chleuh se dénomme lui-même, soit 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩 », soit 𝘢𝘤𝘩𝘦𝘭𝘩𝘪. Le Rifain 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩, ou 𝘢𝘳𝘪𝘧𝘪 etc. Il faut ajouter que, pour leur part, les Touaregs emploient, selon les régions, les mots 𝘢𝘮𝘢𝘫𝘦𝘨𝘩 , 𝘢𝘮𝘢𝘤𝘩𝘦𝘨𝘩 ou 𝘢𝘮𝘢𝘩𝘦𝘨𝘩. Il s’agit, au fait, de déclinaisons phonétiques différentes du même mot 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨h en usage dans les régions septentrionales. Aussi l’𝘢𝘮𝘢𝘫𝘦𝘨𝘩, l’𝘢𝘮𝘢𝘤𝘩𝘦𝘨𝘩 ou l’𝘢𝘮𝘢𝘩𝘦𝘨𝘩 dénomme-t-il respectivement sa langue t𝘢𝘮𝘢𝘫𝘦𝘨𝘩, t𝘢𝘮𝘢𝘤𝘩𝘦𝘨𝘩 et t𝘢𝘮𝘢𝘩𝘦𝘨𝘩, ce qui est l’équivalent de 𝘵𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘵.
Concernant l’Algérie du Nord, le nom 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩 devait tomber en désuétude certainement à l’arrivée des Français. Ces derniers avaient fait grand usage d’une dénomination d’origine arabe pour désigner les communautés berbérophones : 𝘢𝘭-𝘘𝘣𝘢𝘺’𝘪𝘭 qui donnera « Kabyles ». Néanmoins, les premiers écrits des anthropologues français du 19e siècle, signalent outre, le Maroc, l’usage du terme 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩 dans les Aurès en Algérie, à Qalâat Senned en Tunisie, et à Nefoussa en Libye.
S’il n’est pas signalé en Kabylie, le mot subsiste toutefois, sous forme de trace, puisqu’il est porté par une famille élargie chez les Aït Waghlis dans la région de Sidi-Aïch. Probablement, l’usage de ce mot a dû décliner en Kabylie du fait de la généralisation de l’emploi du mot 𝘭𝘦𝘲𝘣𝘢𝘺𝘦𝘭 et le recours de plus en plus rare au nom d’ 𝘪𝘨𝘢𝘸𝘢𝘸𝘦𝘯 (𝘻𝘸𝘢𝘸𝘢 en arabe) par lequel les habitants de la région s’auto-désignaient.
Quant à l’étymologie du mot 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩, elle est suffisamment connue. En 𝘵𝘢𝘻𝘦𝘯𝘢𝘵𝘪𝘵 du Gourara, 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩 signifie Berbère « blanc» pour marquer la différence avec les agriculteurs « noirs » de condition quasi servile. Ailleurs, au Maroc et chez les Touaregs, il a une signification similaire : « homme libre » « homme noble » par opposition à l’homme vassal.
De plus, l’usage des termes 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩, « tamazight » est attesté par les sources arabes. En plus d’Ibn Khaldoun qui évoque au 14e siècle un ancêtre des Berbères du nom de « Mazigh », Léon l’Africain au 16e siècle parle, je le cite de « cinq peuples [berbères] qui sont divisés en centaines de lignées et en milliers de demeures, utilisent une seule langue qu’ils appellent communément 𝘢𝘸𝘢𝘭 𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩, ce qui veut dire langage noble. » L’autre source qui remonterait à la période allant entre le 10e et le 13e siècle est le 𝘒𝘪𝘵ā𝘣 𝘢𝘭-𝘣𝘢𝘳𝘣𝘢𝘳𝘪𝘺𝘺𝘢 (Livre de la langue berbère) connu aussi sous le nom de la 𝘔𝘶𝘥𝘢𝘸𝘸𝘢𝘯𝘢, un manuscrit arabo-berbère dans lequel il est clairement mentionné le mot 𝘵𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘵 tel qu’on le connaît aujourd’hui. Dans ce manuscrit découvert à Djerba, en Tunisie, le 𝘵𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘵 est opposé à 𝘵𝘢𝘴𝘢𝘳𝘨𝘩𝘪𝘯𝘵 (langue sarrazine), terme par lequel les anciens Berbères désignaient la langue arabe.
Tout se passe comme si Mme Kara-Mustapha est dérangée par tout ce qui fonde la culture berbère. Elle va au-delà du rejet assumé de la reconnaissance officielle du 𝘵𝘢𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘵 par les États marocain et algérien.
Elle dépouille les Berbères de tout ce qu’ils possèdent. La robe kabyle serait une invention française, l’artisanat berbère ne serait pas berbère mais yéménite, Tariq Ibn Ziyad ne serait pas berbère mais arabe, 𝘠𝘦𝘯𝘯𝘢𝘺𝘦𝘳 ne serait pas une fête 𝘢𝘮𝘻𝘪𝘨𝘩𝘦, mais iranienne. Le Nouvel An berbère serait, selon elle une usurpation de « Norouz, sic », « le Nouvel An persan, sic ». Cette fête dit l’auteure a été introduite en Algérie « par des soldats kurdes engagés dans l’armée ottomane, sic ». Ces informations sont fausses, l’auteure s’adonne tout simplement à un révisionnisme historique fantaisiste car pour ne prendre que 𝘠𝘦𝘯𝘯𝘢𝘺𝘦𝘳 tout le monde sait que cette fête remonte à l’ère préislamique. On sait qu’elle était célébrée à 𝘈𝘯𝘥𝘢𝘭𝘶𝘴. Le poète andalou Ibn-Quzman (mort en 1160) a laissé des pages émerveillées concernant les réjouissances données lors de cette fête à Cordoue, à l’époque des Almoravides.
Enfin, l’auteure reprend à son compte le mythe médiéval de l’origine yéménite des Berbères. Je suis sidéré par son obstination à valoriser la culture orientale que les Berbères auraient délaissée, et à considérer la berbérité comme une déviation par rapport au modèle fantasmé du paradis perdu.
L’impression que laisse cet ouvrage après lecture c’est qu’il tente de faire admettre sous forme d’une démonstration une expression sentimentale de l’auteure qui rejette l’identité et la culture berbères et qui s’échine à dénier aux 𝘈𝘮𝘢𝘻𝘪𝘨𝘩𝘴 tout rôle historique.
Larbi Graïne, Le Matin d’Algérie, le 28 Juillet 223
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