Dans son édition du 6 août 2023, la page faceboook « Chroniques Algériennes » rapporte une lettre inédite rédigée en 1986 par Mohamed Boudiaf qu’il a dressé à son compagnon d’arme Tella Amor.

Cher Si Amor,
Je viens de recevoir ta lettre en recommandé et elle m’a occasionné une grande joie en me rappelant qu’il existe encore des Algériens fidèles au souvenir est encore capables d’engager une action pour l’intérêt général.
J’ai tenu à t’écrire de ma main pour te dire l’estime que je garde pour tous ceux qui, en dépit de l’éloignement et du temps, nourrissent encore l’espoir des jours meilleurs.
Je me dois en conséquence d’être franc avec toi comme je le serai avec tous les frères qui osent encore poser le problème de l’avenir national.
Il fut un temps où personnellement je croyais en la résurrection du militant algérien et en sa capacité de lutte et cela a duré plus de dix huit ans.
Depuis la mort de Boumediene, exactement en 1980, mes amis et moi-même après un examen de la situation au pays, avons pris la décision de nous arrêter, non pour nous rallier à un régime quelconque, mais pour nous permettre de nous faire une idée plus juste de ce qui se passe chez nous.
Depuis, tout en restant en contact les uns avec les autres nous suivons la situation et ses développements sans nous engager, tant que la grande masse du peuple algérien ne prend pas conscience de la catastrophe qui la menace.
Il faut dire honnêtement que dès 1962 l’Algérie était mal partie.
A cela il y a certes des causes aggravées par la rente pétrolière, l’invasion du champ politique par des individus sans foi ni loi comme tu le dis si bien, la prédominance du facteur matériel et la course aux richesses, toutes ces raisons on bouleversé la société algérienne, anéanti les principes et la solidarité au point où il est devenu hasardeux de savoir ce qui arrivera demain face à une situation pareille.
Il est préférable de laisser les contradictions nées de l’indépendance, se multiplier jusqu’au moment où se peuple se ressaisira pour commencer à se poser des questions sur son passé et son avenir.
Tant que ce moment, qui n’est pas loin n’arrive pas il est inutile de se dépenser en pure perte.
Personnellement je n’ai jamais perdu confiance dans ce peuple et c’est pourquoi il faut avoir la patience d’attendre et de se refuser à toute compromission avec les uns et les autres.
Comme je te l’ai dit, le pouvoir a essayé de me persuader de rentrer, ce que j’ai refusé catégoriquement comme j’ai refusé de m’allier avec des personnes qui ont participé activement dans un passé récent à l’instauration du système que nous connaissons et qui n’a pas fini de ruiner notre pays.
Avec le tarissement des revenus, le choc des ambitions, les divisions des Clans au pouvoir il faut s’attendre à des lendemains qui ne chantent pas.
Tout militant sincère, sans se désintéresser de son pays et de son avenir se doit de rester calme, d’éviter les compromissions et de se mettre en position d’intervention quand les facteurs de changement se préciseront et prendront enfin le sens de redressement.
Ma position est celle-ci.
C’est pourquoi mon cher Amor, je te demande de garder le contact, de m’écrire quand tu le peux en priant Dieu de nous aider dans l’accompagnement de notre devoir dans l’intérêt de ce pays que nous aimons et pour lequel des hommes honnêtes et intègres, en dépit des vicissitudes du temps et de la faiblesse des hommes, sont encore capables de sacrifier ce qu’il leur reste de vie pour son bonheur et sa prospérité.
Sur ce, je te dis mon salut fraternel et au plaisir de te lire. Quant à venir en France d’où je suis interdit de séjour depuis des années, il n’est pas question.
Au moins eux n’oublient pas comme les nôtres.
Affectueusement. Boudiaf Mohamed
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