Le journaliste d’El Watan, Noureddine Nesrouche, a été interpellé lundi 27 décembre, vers 10h. Il n’a été été remis en liberté provisoire qu’à 20h30, après avoir été déféré devant le parquet de Constantine, où le procureur a décidé de le poursuivre pour «atteinte à la sûreté de l’État» en vertu de l’article 79 du code pénal.
Voici le simple petit édito de Noureddine Nesrouche qui, selon le procureur de Constantine, a « atteint la sûreté de l’État » :
La leçon chilienne / Par Noureddine Nesrouche
Le Chili s’est réveillé lundi sous un soleil nouveau, avec un Président jeune, beau, intelligent, et très engagé en tout cas. A la tête d’une alliance de gauche, Gabriel Boric, 35 ans, vient d’écraser au second tour le candidat d’extrême droite, José Antonio Kast.
La victoire est historique, parce qu’elle reprend le pouvoir des mains des ultralibéraux aux commandes du pays depuis l’assassinat de Salvador Allende et l’installation de la dictature de Pinochet en 1973. Le peuple d’en bas exulte et envoie un puissant message d’espoir à tous les peuples écrasés par le capitalisme et ses vassaux.
En Algérie, on ne manque pas d’établir le parallèle entre le hirak et le processus révolutionnaire chilien, tous les deux nés en 2019 avec l’objectif radical de rupture systémique dans le mode de gouvernance ; on questionne surtout la divergence des résultats.
Si en Algérie, la contre-révolution, aidée par l’épidémie, a réussi à mettre le mouvement populaire en sourdine, au Chili, en revanche, le système a fini par capituler face à cette gauche renouvelée et très combative.
Ce triomphe n’est pas le résultat seulement de la dynamique enclenchée en 2019. La lame de fond vient de loin, nourrie par la colère des populations à l’égard de la classe ultralibérale partisane de la dictature d’Augusto Pinochet, et ensuite d’une transition démocratique adaptée aux intérêts des riches. Elle est élaborée cependant par des traditions de lutte et d’organisation entretenues par les forces vives dans des foyers toujours en effervescence.
Gabriel Boric est le produit de ces traditions, lui qui, dix ans auparavant, menait la fronde estudiantine. Il fait partie de toute une génération trempée dans les valeurs de gauche, mais forte de sa créativité stratégique et tactique face à l’adversaire aux capacités d’adaptation infinies, allié de l’argent et des puissances occidentales.
Il y a beaucoup à puiser dans cette expérience qui a été tout, sauf une partie de plaisir. Boric et ses camarades ont dû trimer pour faire revenir aux urnes les Chiliens ; ils ont dû faire preuve d’une grande ingéniosité pour déjouer le système électoral imposé depuis Pinochet, favorisant les habitants des grandes villes au détriment des populations rurales, très pauvres, auxquelles le droit de vote n’est pas garanti.
Les leaders de gauche soutenus par le mouvement féministe, des organisations sociales et syndicales, des artistes et des intellectuels, se sont activement mobilisés au second tour pour convaincre les plus réticents en faisant du porte-à-porte dans tous les quartiers du pays. Un effort titanesque, sans répit, conjugué à une maturité exemplaire qui a permis de mettre de côté toutes les divergences pour créer une force unie, inflexible devant les coups et la critique des adversaires.
Comme les Algériens du hirak, les Chiliens se sont soulevés pour mettre fin à 48 ans de règne d’une caste antinationale. Reste à méditer comment ils ont réussi à conclure.
Noureddine Nesrouche, Le 27 Décembre 2021