Le maquisard Mohand-Ouamar Benlhadj, patron de l’Organisation nationale des moudjahidine, est revenu dans une interview accordé au quotidien Liberté sur les tensions que génèrent le récit national de l’Histoire…
Liberté : La résurgence de ces controverses et dérapages n’aurait sans doute pas eu lieu, diront certains, si l’école avait fait son travail en enseignant notre Histoire dans toute sa dimension…
Mohand-Ouamar Benlhadj : La responsabilité de l’école algérienne est évidente. Tout passe par l’éducation. Même si je souscris à ce principe, je n’irai pas jusqu’à parler de la faillite de l’école algérienne. Pour autant, la question se pose en effet sur les programmes d’enseignement, en tout cas dans le registre de l’Histoire. Il faut donc le reconnaître, l’histoire de la Révolution ou l’histoire de notre pays n’a pas été en effet convenablement enseignée. Qui en est responsable ? Les théoriciens des programmes d’enseignement. Combien de royaumes, bien avant la colonisation française, ont jalonné l’histoire de ce pays, combien de dynasties ont été bâties sur ces terres des siècles avant l’arrivée des Français ? Pourquoi l’école refuse d’ouvrir ces pans de notre passé ? Cette occultation de notre histoire sert, malheureusement, ceux qui prônent que l’Algérie est une création de la France !
Comment en sommes-nous arrivés là ? S’agit-il d’une orientation et d’un choix politico-idéologique du récit historique ?
Mohand-Ouamar Benlhadj : Je ne suis pas idéologue ni spécialiste en la matière. Mais ma modeste expérience me permet de m’exprimer. En 1962, j’étais dans le premier comité fédéral du parti, (FLN, ndlr). Tizi Ouzou, département de la Grande Kabylie, à l’époque. Nous avions préparé la rentrée scolaire de cette année, au mois d’octobre. La première rentrée scolaire de l’Algérie indépendante. C’était le parti, avec ses structures, qui devait organiser cette rentrée. Des structures naissantes. On avait à peine terminé l’installation des comités de daïra, et des comités de kasma pour lancer cette rentrée. Il s’agissait, au mieux, d’alphabétiser nos enfants. Quelques écoles seulement disposaient de tables. Les enfants étaient, dans la majorité des cas, assis sur des nattes à défaut de chaises. Comme enseignants, avec le certificat d’études, l’académie recrutait des moniteurs. Avec le niveau de l’enseignement moyen, elle recrutait des instructeurs. Le rares bacheliers de l’époque étaient appelés pour d’autres missions à des postes de responsabilité. C’est dans ces conditions que nous avons lancé la première campagne de rentrée scolaire de l’Algérie indépendante. Pourquoi je vous raconte tout cela ? À notre niveau, la seule chose qui comptait était de scolariser nos enfants. Quant à l’idéologie, la question était tranchée au niveau central, par les hauts responsables. Ce sont eux qui ont confectionné les programmes d’enseignement. Et à mon avis il y a eu, en effet, des carences, dans le domaine de l’Histoire en tout cas. Ou peut-être que c’était un choix réfléchi et volontaire…
Quelles sont ces carences ?
Mohand-Ouamar Benlhadj : Des cadres du parti et des responsables au sommet de l’État, à l’époque, ont fait le choix d’imposer un tel récit national de l’histoire officielle au détriment d’un autre. Un pan de notre histoire a été occulté. Mais je pense que le plus grand mal était lorsque l’on a forcé sur l’arabité de cette terre. Je ne parle pas de berbérité ou autre mais tout simplement de cette algérianité qui n’a pas eu toute sa place à l’école. Résultat : ni le royaume numide ni celui de Syphax ou encore d’autres régimes étatiques ayant jalonné notre histoire n’ont été enseignés. Pourquoi cette orientation ? Qui a présidé à ces choix ? L’ancien président Ahmed Ben Bella n’était pas seul. Mais je pense, in fine, que c’est le résultat d’une courte vue. Nos voisins marocains et tunisiens n’ont pas fait cette erreur. Aujourd’hui nous parlons bien l’arabe classique d’El-Moutanabi mais nous maîtrisons peu notre propre histoire !
Liberté, Le 30 juin 2021
Interview intégrale
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