Virage / Par Dr Said SADI
Il est important de bien analyser les dernières violences ayant marqué les manifestations publiques en Algérie et en émigration car elles sont le signe d’une vraie bascule depuis février 2019. Il ne faut ni surdramatiser ni sous-estimer les provocations synchrones et répétées de la semaine passée. La convergence de ces attaques ne relève pas du hasard.
A Alger, des baltaguias, dont certains peuvent très bien avoir été manipulés par des officines de la police politique, s’en sont pris à des activistes démocrates, femmes ou journalistes, qui récusaient l’injonction d’un alignement du mouvement citoyen sur l’une ou l’autre des mâchoires de la tenaille militaro-islamiste. De leur côté, des affidés islamistes ont tenté de provoquer les militants démocrates à Béjaia avant de partir à l’assaut des agoras progressistes à Paris.
Tant que les islamistes criaient leurs slogans, exhibaient leurs pancartes ou portaient les posters de leurs leaders, la police politique n’a pas bougé.
Pourquoi ?
Il y a d’abord une raison tactique à cette complaisance. Plus l’islamisme est visible et menaçant, plus il discrédite et donc affaiblit une révolution qui doit sa vigueur et son attractivité populaire à une modernité incarnée essentiellement par les femmes et les jeunes. Du moins au début.
Les dirigeants estimaient, à juste titre, que les Algériens ayant eu toute latitude de voir pendant les années 90 ce qu’intégrisme signifiait pour la vie personnelle et collective, ils ne pouvaient que s’éloigner voire combattre un mutant qui promettait le contraire de ce qu’ils espéraient de leur soulèvement. Non seulement le pouvoir n’a pas empêché l’excitation islamiste mais il l’a discrètement encouragée.
Dis d’un mot : le régime sait que le fondamentalisme est son assurance vie contre la démocratie.
En Algérie comme ailleurs, l’islamisme a toujours sauvé le militarisme.
Redisons-le ici, au début des années 90, le système FLN était exsangue. La violence islamiste fut sa bouée de sauvetage.
En Egypte, c’est l’absolutisme du frère musulman Morsi qui a fait descendre 18 millions de citoyens dans la rue pour mettre un terme à une dérive théocratique, portant du même coup le maréchal Sissi au pouvoir.
En Tunisie où Nahdha a pourtant longtemps maquillé son jeu, même des voix impliquées dans la révolution du Jasmin s’élèvent pour ( presque ) regretter le temps de… Benali !
L’Algérie revit actuellement un scénario bien rodé. En souillant mémoires et repères, en amalgamant Matoub ou Abane à Hachani, les islamistes, voulant abolir le sens politique des causes et des combats pour noyer les responsabilités vont inévitablement engendrer une désaffection populaire qui, objectivement, profitera au régime.
Outre la réanimation récurrente de l’islamisme en vue de jouer de son effet repoussoir, il convient aussi de souligner une dimension stratégique dans cette complicité des officiels.
Fondamentalement, la substance islamiste ne dérange pas le système algérien; l’essentiel étant que le militarisme garde la main sur les secteurs qu’il estime vitaux pour sa survie et sa reproduction. Dès l’indépendance, l’école, la justice et l’information furent livrées à l’obscurantisme. En 1984, le FLN imposa un code de la famille que ne renierait pas le plus illuminé des intégristes.
(…)
Tant qu’une option pour un changement effectif en faveur d’une perspective démocratique n’est pas assumée, le système jouera de l’entretien, de la manipulation et du dopage islamiste.
Said SADI, le 16 mars 2021 (intégral)
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