En choisissant la voie de la raison dans son approche critique de la pensée islamique dominante, Saïd Djabelkhir savait qu’il évoluait sur un terrain miné. Sa persévérance a fait réagir les tenants d’un dogmatisme sclérosé. Faute d’argument à lui opposer, ces derniers préfèrent la judiciarisation d’une question qui relève du débat d’idées.
Le discours religieux radical bénéficie-t-il encore d’une importante audience en Algérie ?
Hélas oui, et ce, pour plusieurs raisons. Il y a d’abord l’influence de l’école et des programmes scolaires, et là, nous avons besoin d’un changement radical, car notre école est encore loin d’être une école républicaine au vrai sens du terme. En effet, depuis l’indépendance, nous n’avons pas encore tranché la question de savoir si l’école doit former des citoyens ou des croyants.
Vous avez aussi l’influence des médias dont certains deviennent de moins en moins professionnels et versent dans le sensationnel, l’émotionnel et le religieux. La plupart des médias vendent le religieux comme un produit de consommation et non comme une matière sur laquelle on doit réfléchir pour se forger une opinion libre. Il y a aussi l’influence des réseaux sociaux et du discours religieux officiel qui demeurent très loin des besoins et des questionnements de l’homme moderne, ici et maintenant.
Comment contrer le courant radical et l’inquisition ?
Pour contrer ces idées, la base de départ se trouve à l’école, et c’est là qu’il faudrait opérer un changement radical. Tout se joue à l’école, car c’est l’école qui forme le citoyen sur les valeurs républicaines, celles du respect des droits de l’Homme, du respect des libertés individuelles, de l’altérité, celles du respect de la différence et du droit à la différence, de la diversité et du vivre ensemble en paix.
Il y a aussi le travail remarquable d’éclairage, de tanwir, d’explication et de pédagogie que font les jeunes et certains intellectuels sur les réseaux sociaux et même sur le terrain à travers les différentes structures de la société civile, associations, collectifs, groupes de dialogue et de débat et autres. Il faut dire qu’avec des moyens rudimentaires, le travail de ces jeunes commence à porter ses fruits.
En outre, il y a un très grand travail d’ijtihad, c’est-à-dire un effort de réflexion nouvelle sur les textes fondateurs de l’islam qui doit être fait, car les lectures traditionnelles ne répondent plus aux attentes, aux besoins et aux questionnements de l’homme moderne. Cet effort de réflexion est avant tout un devoir religieux et il doit être opéré sur la base des nouvelles disciplines scientifiques et surtout les sciences humaines : histoire, sociologie, psychologie, linguistique, anthropologie, philologie, codicologie, étude critique et historique des textes, etc.
Et c’est à partir de là qu’on pourra construire une nouvelle lecture des textes religieux qui concrétisera un islam des lumières, c’est-à-dire un islam qui ne sera pas en contradiction avec les valeurs de la modernité que je viens de citer précédemment.
Quels sont les obstacles récurrents que vous rencontrez dans votre quête d’un renouveau de la pensée islamique ?
Le plus grand obstacle que je rencontre personnellement est la réaction de l’orthodoxie, c’est-à-dire les tenants de la lecture traditionaliste qui prétend détenir la vérité absolue dans la lecture et l’interprétation des textes religieux, alors que nous savons tous qu’il n’existe pas de vérités absolues dans le domaine de la recherche. En effet, quand on est chercheur, on doit toujours nuancer et relativiser les idées qu’on propose.
La notion de “alim” ou “savant” en islam nous donne l’impression d’être devant une personne qui ne dit que des vérités absolues et qui ne se trompe jamais, alors qu’en réalité, il n’en est rien. Les compagnons du prophète, eux-mêmes, se trompaient parfois et leurs avis religieux divergeaient, c’est bien la preuve que leurs avis n’étaient pas absolus, et d’ailleurs, jamais un compagnon n’a prétendu détenir à lui seul la vérité absolue.
Interview réalisée par Liberté, Le 11 février 2021
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