Un slogan a fait son apparition lors des marches du vendredi : «Badissia-Novembria». Rabah Lounici, Chercheur en histoire, répondait dans une interview accordée à El Watan le 20 juin 2019, sur cette nouvelle et énième écriture de l’histoire de ce pays. Dont voici la synthèse :

A quand remonte cette expression et qui en sont les promoteurs ?
Rabah Lounici : Le slogan «Badissia» fait référence aux disciples de Ben Badis, premier président de l’Association des oulémas musulmans algériens (AOMA)…
Le slogan est apparu lors du 4e vendredi de la protestation (15 mars). Inscrit en belles lettres sur des banderoles bien confectionnées, le mot d’ordre a émergé d’un seul coup et au même moment sur tout le territoire national. Preuve en est que ce slogan est sorti d’un même laboratoire. Ses promoteurs, disons-le franchement, sont des éléments du régime dont l’objectif est de provoquer des divisions idéologiques au sein du mouvement populaire naissant.
Les promoteurs de ce slogan ont une méthode : mettre à profit l’ascendant qu’a pu avoir Ben Badis, grâce à l’école algérienne qui en a fait un homme sacré.
Ces gens trouvent-ils des adeptes dans la société ?
Rabah Lounici : Nous constatons que ce slogan commence à disparaître après que nous ayons démontré qui sont ses promoteurs et le rôle controversé de l’Association des oulémas dont ils se réclament. Désormais, les adeptes du diptyque se sont contentés de la deuxième partie «Novembria».
Ceux qui scandent ce slogan pour la consommation interne et en font un registre de commerce sont la clientèle du régime et ses soutiens zélés. Ces personnes n’ont aucun projet pratique et réel avec des mécanismes d’application pour concrétiser les «principes de Novembre» dont ils parlent.
Le slogan est en fait une manière de faire revenir le pays vers la pensée unique subie sous le règne de Boumediène. Ces gens ne pouvaient pas se suffire du mot «Badissia» en référence aux fondateurs de l’association et son vers «Chaabou el djazaïri mouslimoun…», utilisé par les «ouroubioun» comme parole sacrée et pour exclure la dimension amazighe du pays. Ils se sont appropriés le mot «Novembre» mais au fond, le projet est «badissien», concentré sur l’identité algérienne telle qu’ils la conçoivent.
« Le Slogan du Régime qui plait aux Islamistes et Baathistes... »
Rabah Lounici : A les entendre, on est tenté d’accréditer l’idée saugrenue que les Algériens se sont révoltés pour… revenir en arrière ! Certes le slogan a été lancé par des éléments du régime, mais il a vite été adopté par une partie des islamistes et des baathiste.
L’Algérie en troisième position après « l’Islam et l’Arabité » !
Rabah Lounici : Je veux juste rajouter que chez les adeptes de Ben Badis, «El Watan» (nation) vient en troisième position après l’islam et l’arabe, comme cela s’exprime dans le triptyque : «L’islam est ma religion, l’arabe ma langue et l’Algérie mon pays.» Nous constatons que les adeptes de cette positon lient le pays à l’arabité, d’où l’accusation portée à leurs adversaires qualifiés de «hizb frança».
C’est cette même accusation qui est portée contre des héros de notre Guerre de Libération comme Boudiaf, Aït Ahmed. La confusion trouve son terreau dans l’école et les médias, et l’impossibilité pour les promoteurs de tels slogans de différencier entre francophonie et francophilie…
D’ailleurs, durant la guerre de libération, les Oulémas étaient pour l’assimilation, c’est-à-dire ils prônaient le rattachement à la France et l’égalité entre les Européens et les musulmans, tout en gardant, insistent-ils, la personnalité islamique. Ils mettaient ainsi, en avant l’arabe et la religion aux dépens de la nation.
Taleb Ibrahimi, le grand architecte de la falsification de l’Histoire algérienne…
Rabah Lounici : Ahmed Taleb Ibrahimi, devenu ministre de l’Education sous Boumediène, a placé beaucoup des membres de l’association dans son administration. L’enseignement de l’histoire a été falsifié au point où les élèves considèrent à tort que les initiateurs de la Guerre de Libération sont Ben Badis et Bachir Ibrahimi…
Cette falsification a produit une génération qui sacralise Ben Badis et ne connaît rien ou presque des révolutionnaires authentiques et des pères du nationalisme algérien que sont Messali et Amar Imache. C’est pour rétablir la vérité, comme il le dit en introduction de son livre que Benyoucef Benkhedda a écrit : Les origines du 1er novembre 1954 – éd. Dahlab, Alger. Ce sont ces mêmes graves entorses à la vérité historique qui ont incité Boudiaf à déclarer, dès son retour en Algérie en 1992, que les «Oulémas n’ont pas participé à la guerre».
Le Rappel :
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